lundi 8 février 2016

Le Journal d’un fou


Œuvre majeure de Nikolaï Gogol (1809-1852), Le Journal d’un fou évoque sur le mode tragi-comique les errances mentales d’un pauvre petit fonctionnaire (Poprichtine). Dans une mise en scène malicieuse et subtile signée Bruno Dairou, Antoine Robinet interprète avec grand talent le fou de Gogol, sous une forme subtilement  tranquille et décalée.

Parue en 1835, cette nouvelle faisait partie du recueil Arabesques (Arabeski) où se mêlaient récits et articles de réflexions. Ecrit sur le mode du Journal intime, ce texte reflète à la fois l’esprit caustique de l’auteur - qui l’année suivante produira le fameux Le Revizor - et son insolite modernité, qui séduira tant les auteurs russes, de Tourgueniev à Dostoïevski.

photo © Jessy Conjat - Compagnie des Perspectives 2015
Le Journal d’un fou - Théâtre Le Guichet Montparnasse

Avec Le Journal, Gogol prend ses distances avec les terres un peu prévisibles du réalisme, s’orientant vers les rivages moins explorés du fantastique, de la fable absurde… Par le ton constamment allusif du texte et ses sous-entendus cocasses et inquiétants, l’on pourra même songer à la verve théâtrale d’auteurs beaucoup plus récents : Ionesco, Beckett mais aussi Pinter et Dubillard, récemment disparu. Sur la minuscule scène du Guichet Montparnasse, juste peuplée d’un banc, d’une caisse en bois et de nombreuses feuilles de papier au sol, Antoine Robinet interprète Poprichtine avec une diction parfaite. Dans un long monologue, Poprichtine nous confie ses pensées et sentiments, comme son ennui à tailler des crayons dans une administration pompeuse et blafarde ou sa haine de son directeur, dont il est tombé amoureux de la fille.

photo © JC Lallias - Compagnie des Perspectives 2015
Le Journal d’un fou - Théâtre Le Guichet Montparnasse

A la fois halluciné et d’une logique implacable - il se prend pour le roi d’Espagne et croit entendre des caniches converser - le récit nous est conté par un fou calme, qui nous raconte du début à la fin sa pathétique histoire, de ses errances autour de son ancien lieu de travail jusqu’à son enfermement dan un asile d’aliénés. Outre l’efficacité de la langue, la saveur acide et amusante de la nouvelle de Gogol provient de sa façon brillante de traiter - dans le contexte de son époque - de thèmes universels comme la folie et l’incommunicabilité. Mais surtout la modernité de Gogol frappe par le caractère confessionnel de la forme narrative. Dans Le Journal d’un fou la stylisation du monologue propre au personnage Poprichtine n’est pas d’ailleurs sans rappeler celle de Célestine dans Le Journal d’une femme de chambre (1900) d’Octave Mirbeau.

photo © Jessy Conjat - Compagnie des Perspectives 2015
Le Journal d’un fou - Théâtre Le Guichet Montparnasse

Sans forfanterie, Antoine Robinet plante ses yeux dans ceux des spectateurs, mettant en exergue l’apparence multiple de son personnage : demi fou ? demi-sage ? illuminé ? looser ? En tout cas, peut-être fou mais porteur d’histoires. Comme l’écrivain qui sur les plateaux de télévision évoque son enfance malheureuse ou le SDF qui, de rame en rame, colporte sa problématique tranche de vie, on pourrait dire que Poprichtine cherche à sa façon, il est vrai sous un mode de communication aujourd’hui un peu suranné (le Journal) à capter l'auditoire, à créer un effet théâtral, à instaurer face à l'Autre un rapport fusionnel faisant de sa trajectoire personnelle une histoire avec un grand H. En tout cas, la prestation d’Antoine Robinet se révèle très convaincante, puisant à la fois dans un jeu sobre et inventif.

durée : 1 h

Le Journal d’un fou, texte de Nikolaï Gogol,
d'après la traduction originale de Louis Viardot (1845)
Mise en scène : Bruno Dairou
Interprétation : Antoine Robinet

Théâtre Le Guichet Montparnasse
15, rue du Maine
Paris 14e
horaires : le vendredi et le samedi (20 h 30), le dimanche (16 h 30)

jusqu’au 20 mars 2016



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